Une inflation législative qui dévalorise la liberté : ou l’énième réforme du contentieux de l’éloignement
Auteurs : Anaïs PLACE, Rachid ABDERREZAK
Publié le :
25/03/2019
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Depuis 1980, les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ont fait l’objet de réformations incessantes, au gré des tendances politiques et conjoncturelles, avec en moyenne une loi d’ampleur tous les deux ans. Conscient de l’obsession de l’opinion publique pour la « question migratoire » - obsession largement encouragée et instrumentalisée par une franche majorité des personnalités politiques de l’Europe contemporaine – chaque gouvernement y répond par la production de règles toujours plus complexes. La majorité actuelle ne s’est pas départie de cette quasi tradition politique française, et moins d’un an après son arrivée au pouvoir, elle a entrepris une énième réforme du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile, alors même que la loi du 7 mars 2016 commençait à peine à être mise en œuvre.
Dans son Avis sur le projet de loi pour une immigration maitrisée et un droit d’asile effectif en date du 15 février 2018 , le Conseil d’Etat soulignait cette regrettable prodigalité du législateur, en particulier en ce qui concerne l’éloignement du territoire :
« (…) le Conseil d’État ne peut que regretter que le projet ne soit pas l’occasion d’une simplification drastique des dispositifs qui, au fil de la sédimentation des dispositions, se multiplient et se déclinent en variantes dont la portée, le régime ou les conditions diffèrent marginalement, sans que cette sophistication n’entraîne un surcroit d’efficacité. Pour s’en tenir au droit de l’éloignement, le [Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile] ne compte aujourd’hui pas moins de neuf catégories différentes de mesures d’éloignement, dont certaines se subdivisent elles-même en sous-catégories, régies par des règles différentes. »
La lucidité du Conseil d’Etat n’a malheureusement pas freiné les velléités réformatrices de l’actuel gouvernement.
L’entrée en vigueur de la loi du 10 septembre 2018 vient non seulement complexifier le contentieux de l’éloignement, mais durcit également drastiquement les conditions d’exécution de ces mesures.
La durée maximale de la retenue pour vérification du droit de séjour et de circulation, est allongée, passant de seize à vingt-quatre heures, et la prise d’empreintes digitales avec enregistrement au fichier au traitement automatisé des empreintes digitales est systématisée, sans que l’on ne comprenne ce qui motive cette aggravation de la contrainte exercée sur l’étranger dont l’identité et le droit au séjour doivent être vérifiées (voir en ce sens notre article : Réforme de la retenue pour vérification du droit au séjour : surveiller et punir)
Toujours dans cet esprit d’aggravation de la contrainte exercée sur l’étranger en situation irrégulière, la durée maximale de la rétention est substantiellement augmentée ; elle passe de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours.
Dans l’avis précité, le Conseil d'Etat, tout en affirmant que cet allongement ne souffrirait aucune critique de conformité conventionnelle ou constitutionnelle, « [s’interrogeait] sur la justification de l’allongement proposé de cette mesure restrictive de liberté, qui porte atteinte à la liberté individuelle et qui engendrera des coûts supplémentaires ». La plus haute juridiction administrative rappelait à juste titre que la durée moyenne de rétention est de douze jours ; on peut douter de l’efficacité de l’allongement de la durée d’enfermement.
L’interdiction de retour sur le territoire français, autrefois marginalement prononcée, va non seulement se généraliser mais se trouve renforcée dans son caractère coercitif ; alors que sa durée commençait à courir à compter de la notification de l’obligation de quitter le territoire français, le point de départ dudit délai est à présent fixé à la date d’exécution de la mesure d’éloignement. Concrètement, s’il se maintient en France, l’étranger ayant fait l’objet d’une interdiction de retour sur le territoire français sera confronté à un véritable parcours du combattant pour espérer obtenir un jour la régularisation de sa situation.
Ces différents points exposés, loin de présenter un état de lieux exhaustif de la loi du 10 septembre 2018, permettent toutefois de se convaincre d’une nette tendance à la criminalisation des migrations . Tout en affichant la préoccupation d’une « intégration réussie », le gouvernement marque, comme ses prédécesseurs, une volonté de contrôler le séjour des ressortissants étrangers par une politique répressive, a fortiori non inclusive.
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